Oui, le BRF donne la vie ! Il régénère le sol selon des procédés naturels étonnants. Stupéfiants, même. Découvrez le secret de ce miracle ici, au travers du témoignage exceptionnel du pionnier de son application en France, Jacky Dupety, un véritable fermier novateur…

Expérience conduite sur le projet pilote avec la participation des enfants.

Comment redonner vie à une terre pauvre, sablonneuse et acide ?

Réponse donnée par Jacky Dupety aux enfants
qui préparent la terre de l’abondance partagée
des incroyables comestibles en France
dans le cadre de la démarche pilote Incredible Edible Fréland
pour les besoins de la Transition des Villes et des Territoires.

– Agriculture sans eau, une révolution –

Émission Terre à terre, diffusée le 8 octobre 2005 sur France Culture. Entretien de Ruth Stegassy avec Jacky Dupety, pionnier du BRF en France.


Jacky Dupety : Cette parcelle là, je l’ai ensemencée en BRF au mois de février 2005, j’ai griffé, début mai,  pour faire le mélange broyat et sol et début mai, oui je crois, j’ai planté… j’ai écarté le broyat, j’ai mis les graines dans la terre et je me suis dis : « mes cocottes vous vous démerdez » et j’ai rien fait. J’ai mis les graines et j’ai attendu que ça pousse. Et ça a poussé tout seul et j’en suis à 160 kilos de courgettes. La plante a puisé ses besoins dans ce nouveau sol, en fait.  Parce que le  BRF c’est ça ; on permet la pédogenèse alors la  pédogenèse  c’est la génération du sol ; le sol avec le BRF se régénère tout seul.

Ruth Stegassy : BRF, lorsqu’on vous aura dit qu’il s’agit du bois raméal fragmenté vous n’en saurez pas beaucoup plus. Eh bien il s’agit d’une méthode de culture qui nous vient du Canada. Jacky est un pionnier, il est le premier à l’avoir utilisé en France. Jacky Dupety, il y a 7 ans, vous étiez en banlieue parisienne,  vous vous demandiez si vous restiez là ou si vous deveniez   agriculteur.

Jacky Dupety : Je ne sais pas si c’est rentrer dans l’agriculture ce j’ai fait ; parce que c’est vrai que j’ai essayé, mais avec mes petits moyens, c’est pas possible. Donc  il faut prendre un autre chemin ; et ce chemin c’est la curiosité intellectuelle de se dire que le schéma qui fonctionne maintenant, il est au bout ; je ne sais pas si on peut aller plus loin. De toute manière les sols sont en train de devenir stériles ; l’alimentation, n’en parlons pas  c’est à la limite dangereux pour certaines choses, pour la santé humaine. Et donc, la curiosité intellectuelle c’est ce qui m’a amené à changé dans ma tête, dans ma philosophie, parce la terre nous  le démontre   elle peut vivre sans nous donc il s’agit de s’entendre avec elle et  de vivre avec elle.

Ruth Stegassy : Et donc là, on imagine, à vous entendre que vous avez choisi l’agriculture biologique, peut-être même l’agriculture biodynamique. Est-ce que vous avez fait ces chemins là ?

Jacky Dupety : J’ai fait un contrat agriculture durable  avec conversion à l’agriculture biologique, sur des terres qui n’avaient  pas été cultivées depuis une quinzaine d’années ; mais je me suis vite rendue compte que même l’agriculture biologique, les excès, on n’en est pas à l’abri. Je pense que l’agriculture biologique peut – et peut-être même qu’elle le démontre – elle est en train de devenir industrielle. Donc est-ce que c’est ce qu’on veut comme rapport à la terre et à l’alimentation ? Moi je n’y crois pas ; je pense qu’il faut revenir à quelque  chose et de  proximité et de convivialité avec  la terre. Moi je pense que l’on peut parler de convivialité avec la terre.

Donc voilà la  terre du causse ; ici ils appellent ça les grèzes. C’est de la terre qui un peu rouge, donc terre drainante, limono argileuse. Donc quand même il y a de la terre riche. Ici c’était de la céréale ; avec l’aléa climatique  des étés très secs  et pas assez d’eau, donc en général  des récoltes comme ils disent, piètres, ici.

Ruth Stegassy : Un joli mot. Mais c’est déjà étonnant de savoir qu’il y a des terres riches. L’image du causse, c’est noir.

Jacky Dupety : L’image du causse c’est le désert en été. Pourtant il pleut, enfin  normalement il pleut. Là ça fait trois ans où les précipitations c’est vraiment de plus en plus léger. Moi je le relève tous les jours ; C’est inquiétant, c’est vraiment inquiétant. Ca va jusqu’à une modification de la flore. Ici on est en pays d’élevage, donc d’élevage ovin. Et il y a une plante la fétuque ovine, elle porte bien son nom, les ovins en sont très friands et elle commence à disparaître. Et c’est dû au manque de précipitations.

Ruth Stegassy : Mais  là, si on revient à cette terre  que vous êtes en train de nous montrer, Jacky Dupety , c’est donc des terres qui autrefois étaient consacrées aux céréales et qui ensuite ont été vouées à l’élevage,  ou il y avait depuis toujours les terres céréalières et les terres d’élevage ?

Jacky Dupety : Ici c’est une combe donc en fait toute la bonne terre a raviné des monts, même si ce n’est pas haut,  ça fait 482 mètres là-haut.

Ruth Stegassy : Vous le regardez avec un petit sourire méprisant, en fait…

Jacky Dupety : Ah non, pas méprisant, non pas méprisant, parce qu’en en plus il est chargé de plein de nids.

Ruth Stegassy : Ah bon ?

Jacky Dupety : Oui, il y a des chênes là-haut qui sont magnifiques, des chênes multi centenaires ; il y a une source là-haut. Alors, pour dire quand même que le problème de l’eau, ici, ça a été vécu toujours de façon un peu dramatique ; parce que y’a pas d’eau, quoi, la rivière est de l’autre côté. Mais ici il y a des citernes partout et on récupère l’eau…

Ruth Stegassy : L’eau de pluie, c’est ça ?

Jacky Dupety : L’eau de pluie, oui. Pour revenir aux terres d’ici, toutes les combes étaient consacrées en général, aux céréales pour l’alimentation et  pour les ovins.  Mais les rendements, on est loin des 100 quintaux…

Ruth Stegassy : De la Beauce

Jacky Dupety : De la Beauce, je suis originaire de la Beauce en plus ; ici on fait entre  15 et 20 quintaux. Quand, moi  l’an dernier j’ai fait 20 quintaux sur cette parcelle là et  j’étais content, vraiment content et en plus j’avais mis une vieille variété qui s’appelle le rouge de Bordeaux ; j’avais de la paille qui faisait plus d’1m50 de haut et le moissonneur n’avait jamais vu ça. Bon,  j’avais fait du chanvre avant il y avait des pratiques culturales qu’ils ne connaissent plus tellement parce que ici maintenant c’est quand même chimie.

Ruth Stegassy : Toutes les terres qui sont le long de la vallée du Lot on a vu qu’elles pour le maïs, le sorgho ; le sorgho, le maïs, c’est-à-dire toutes les bonnes terres en fait…

Jacky Dupety : Oui, et ça c’est pour l’ensilage en plus ; donc ça pose un vrai problème. Et en plus ils arrosent ; ils prennent l’eau du Célé pour arroser en été. C’est le problème classique de l’agriculture intensive.

Ruth Stegassy : Vous dites « en plus ils arrosent, parce que vous ici, vous n’arrosez pas, Jacky Dupety ?

Jacky Dupety : Non, je n’arrose pas. Au début, c’était un peu une plaisanterie qu’on me faisait : « ouais, tes tomates elles vont sécher sur pieds » ; et puis la première année ils ont regardé de loin et maintenant ils viennent voir. Ils savent quand même qu’il se passe quelque chose dans ce que je fais qui peux les intéresser.

Ruth Stegassy : Déjà il se passe quelque chose d’étrange, Jacky Dupety, on parle d’élevage et de céréales et tout à coup voilà des tomates qui surgissent…

Jacky Dupety : Oui des tomates, des tomates, des courgettes…

Ruth Stegassy : Sur le causse ?

Jacky Dupety : Sur le causse oui ; certains ont  même été jusqu’à dire que j’arrosais la nuit. Mais bon c’est quand même plus logique que d’arroser dans la journée quand il y a le soleil ! Enfin, je n’ai  jamais arrosé. Quand je leur dit que ça fait 2 ans que je n’arrose plus ils me regardent comme ça ; ça les intrigue, quoi.

Ruth Stegassy : Vous allez nous montrer ça ?

Jacky Dupety : Oui. C’est quand même bien, hein ?

Ruth Stegassy : C’est beau !

Jacky Dupety : De voir les arbres autour, ça me satisfait.

Ruth Stegassy : Alors là on arrive à une parcelle cultivée et effectivement voilà les tomates.

Jacky Dupety : On voit les tomates.

Ruth Stegassy : Et les courges…

Jacky Dupety : Les courgettes, etc… Et donc c’est vrai, on est au mois de septembre, et par contre, même au mois de juillet, c’était comme ça.

Ruth Stegassy : C’est-à-dire, tout vert…

Jacky Dupety : Tout vert, la courgette elle aime bien l’eau quand même, jamais de stress hydrique, c’est-à-dire les feuilles qui tombent, la triste mine et ça, moi-même j’ai été stupéfait.

Ruth Stegassy : Enfin, on dit tout vert mais quand on regarde le tapis de sol de la parcelle ce n’est justement pas vert du tout.

Jacky Dupety : Ce n’est pas vert du tout, non, non ; c’est ce qu’on appelle le bois  raméal  alors  raméal c’est un vieux mot français que les québécois emploient toujours ;  pour expliquer, raméal : rameau donc branches d’un certain diamètre, pas des grosses branches.

Ruth Stegassy : Et pas des brindilles…

Jacky Dupety : Pas des brindilles, bien que, le meilleur BRF qu’on puisse obtenir, c’est avec les brindilles. Après c’est une histoire de temps, ça prend du temps pour broyer ; pour en mettre une couche de 3 cm ça fait 300m3 à l’hectare ; ça fait des branches.  Mais bon  la ressource est là ; il faut savoir qu’1 kilomètre de haie quand on l’entretient, quand on la taille ça fait entre 16 m3 et 30 mDonc ça fait 10 kilomètres pour faire 1 hectare. Ici on a des chemins partout ; le pays est truffé de chemins, donc des arbres  il y en a partout tout  autour. À mon avis la ressource, ce n’est pas le problème.

Ruth Stegassy : Donc votre mine à laquelle vous puisez, ce sont toutes ces haies qui ont été plantées depuis des siècles et des siècles.

Jacky Dupety : Voilà, toutes les haies ; ici  c’était une région très peuplée, maintenant on est vraiment plus nombreux, mais à l’époque, sur le mont Boussou, il n’y avait pas de forêt tout était cultivé ou en pâturage et la forêt c’est installé avec la déprise. Alors la déprise c’est…

Ruth Stegassy : Ça remonte à quoi, un siècle et demi ?

Jacky Dupety : Moins que ça. Il y a eu la crise de la vigne ; parce qu’ici on faisait de la vigne, mais il  y a surtout eu la guerre de 14. La guerre de 14 ça a été l’hémorragie, ça a été dramatique. Et maintenant la forêt elle revient. Et en plus cette histoire de  forêt qui revient ça va avec le BRF, c’est-à-dire que dans la thématique du BRF l’agriculture appauvrit le sol, la forêt le régénère.

Ruth Stegassy : Jacky Dupety, Vous allez trop vite. Parce que  BRF pour vous,  c’est une évidence avec laquelle vous vivez depuis deux ans, mais on n’a toujours pas compris de quoi il s’agit.

Jacky Dupety : Je vais aller couper le courant.

Ruth Stegassy : Oui le courant, d’accord…

Jacky Dupety : J’ai mes brebis, mais j’ai mis ça surtout parce que j’ai des amis chevreuils qui ne sont pas vraiment mes copains.

Ruth Stegassy : Comment est-ce que vous êtes tombé sur cette pratique, cette technique qui a un nom un peu barbare : bois raméal fractionné, fragmenté…

Jacky Dupety : C’est Internet !

Ruth Stegassy : C’est vrai ?

Jacky Dupety : Oui c’est Internet ; je cherchais à résoudre le problème de cette terre de combe qui est drainante, donc par manque d’humus et je pensais Jean Pain, parce que c’est vrai que Jean Pain, on a tous ça en tête…

Ruth Stegassy : Rappelez, Jean Pain ?

Jacky Dupety : C’est ce bonhomme qui a trouvé avec toute la mythologie qui l’entoure, la recette des Templiers pour faire un compost avec des broussailles et tout ce qui ne nous sert pas. Et le problème c’est qu’avec Jean Pain on a besoin d’eau pour faire le compost et on a besoin quand même de beaucoup d’eau et il y a beaucoup de manipulation et je me suis rendu vite compte qu’on était encore parti dans le même travers, c’est-à-dire  le travers  technicien, il faut des techniques, il faut fait comme-ci, il faut faire comme ça,  alors je veux pas dire que je suis contre. Mais comment elle fait la nature ? C’est la question que je me suis posée comment elle fait la nature notamment pour qu’un sol de forêt soit toujours fertile ? Parce que ici on a des petites terres qui sont riches en minéraux  mais quand on voit qu’il y a des arbres qui poussent dessus… On n’a rien amené, ils se sont débrouillés tous seuls ; c’est le sol de forêt qui permet ça. Donc après avoir vu le comité Jean Pain qui n’existe plus en France, je crois, et qui maintenant est en Belgique, j’ai vu qu’à côté dans les icônes il y avait comité Jean Pain, il y avait BRF ; et BRF, il n’y avait même pas l’explication de ce que c’était : le bois raméal fragmenté, c’était BRF. Donc j’y suis allé et j’ai lu surtout les travaux de Gilles Lemieux. Et là je dois dire qu’intellectuellement, ça m’a satisfait parce qu’il y avait un autre rapport à la forêt, il avait un autre rapport à la nature, il y avait une espèce d’humilité à décrire ce qui se passe dans un sol de forêt en le décrivant pourtant de façon très scientifique.

Ruth Stegassy : Gilles Lemieux, c’est un universitaire en fait, de l’université Laval au Québec.

Jacky Dupety : C’est ça, oui il s’occupe de la géomatique et de la foresterie et c’est un monsieur d’un certain âge maintenant ; mais  un chercheur et qui je pense comme beaucoup de chercheurs qui font des découvertes importantes, ne sont pas compris. Et Monsieur Gilles Lemieux n’est pas compris dans ce qu’il veut dire. Il est même rejeté par le monde agronomique, le monde forestier on  lui dit d’aller jouer ailleurs, quoi. Agriculture et forêt ce ne sont pas des choses qui vont ensemble.

Ruth Stegassy : Qui sont compatibles, ben non ; ce sont même des ennemis de toujours.

Jacky Dupety : Ce  sont des ennemis mais il y a quand même une chose – et ça c’est le constat qu’on peut faire à posteriori – c’est que l’agriculture pour s’imposer et pour nourrir la population a été obligée de manger la forêt ; mais de façon très agressive. Et ça continue, notamment même en Amazonie. Et le constat que l’on fait c’est qu’au bout de 3 ans, la fertilité a disparu. Donc il faut encore enlever de la forêt ; et plus on avance moins il y a de forêt et plus la fertilité s’en va. Donc il faut revenir analyser la forêt : « pourquoi la forêt est fertile ? ». Et c’est ce qu’a fait Gilles Lemieux en fait ;  il a découvert comment la forêt gérait sa fertilité.

Ruth Stegassy : Et donc comment est-ce qu’elle fait ? En quelques mots…

Jacky Dupety : En quelques mots, ce sont les branches, les rameaux qui tombent au sol, les feuilles, les fruits qui sont tout de suite colonisés par les champignons. Et c’est là, où je dirais, que c’est révolutionnaire ; parce qu’on change de monde ; on n’est plus dans le monde du bactérien avec le côté « feu » que ça a, et minéral. Là on est dans l’odeur de l’humus ; moi, ça m’évoque l’odeur de l’humus. Ce sont les champignons qui installent  – mais ils ne sont pas tous seuls  pour installer – c’est une histoire de symbiose, de cycle de vie qui se fait dans le sol où il n’y a pas d’intervention de l’homme. On n’est plus non plus dans la doctrine bactérienne on est : énergie – champignon, plus décomposition mais digestion – transformation et transfert d’énergie. Alors ce sont des choses qui sont au niveau de la recherche. J’essaye de trouver des trucs mais on ne trouve pas grand-chose.

Ruth Stegassy : Déjà, ce qui est frappant c’est à quel point que le vocabulaire que vous employez est un petit peu l’inverse du vocabulaire qui est utilisé d’habitude pour décrire justement, ce travail. On parlerait plutôt de décomposition, on parlerait de pourrissement ; et vous vous parlez énergie, transformation. Vous êtes du côté du vivant.

Jacky Dupety : Oui, à mon avis c’est le changement d’époque qui nous interpelle de cette façon là. Il faut changer. Le minéral, on sait où ça nous a amenés ; le pétrole, toutes les questions essentielles qui touchent la société et le développement. Le minéral je crois qu’on arrive au bout ; on arrive au bout du pétrole et à arrive  mon avis  aussi au bout du minéral.

En fait là je les cueille un peu grosses parce que j’en ai livré à un restaurant   qui est un peu plus haut et il voulait des courgettes moins renflées que ça. Donc quand je dis que j’ai fait 160 kilos de courgettes, c’est des courgettes plus petites que ça. Alors j’ai fait plusieurs variétés : il y a de « la petite verte d’Alger », c’était celle-ci  là ; là c’est de « la noire maraîchère ».

Ruth Stegassy : Où est-ce que vous les choisissez vos variétés ?

Jacky Dupety : Mon fournisseur c’est « BIAUGERME ». Je leur fais de la pub parce que c’est vrai qu’au niveau semence, ça fait plusieurs années que je travaille avec eux, je n’ai jamais eu de surprises ; c’est toujours bien.

Ruth Stegassy : Y’a des courges, là…

Jacky Dupety : Oui c’est un potimarron. Bizarrement, je me rends compte qu’il y a des fois, certaines variétés, c’est moyen. Là c’est « la jaune », je ne sais plus comment il l’appelle… « la Gold ». J’en ai ramassé quelques unes, il en vient un peu quand même là,  mais ce n’est pas génial.

Ruth Stegassy : Elles sont petites.

Jacky Dupety : Oui, de toute manière on arrive en fin de saison pour les courgettes. J’estime qu’elles ont bien travaillé.

Ruth Stegassy : Là, il y en a une très grosse, deux, même…

Jacky Dupety : Ça, c’est une « blanche de Virginie ». Alors l’histoire, avec cette technique on obtient des légumes et des fruits qui ont un goût incomparable.

Ruth Stegassy : An bon ? Ça change le goût ?

Jacky Dupety : Ça change le goût, oui, parce que la courgette en général on est obligé de l’arroser ; et moi je n’arrose pas. Donc, en fait comme elle se débrouille toute seule,  qu’elle n’a pas d’apport en plus, parce que c’est difficile de juger combien on doit amener d’eau et la plupart du temps on fait des erreurs. C’est le stress que j’ai eu l’an dernier quand on m’a dit au Québec, quand Gilles Lemieux m’a dit « c’est pas la peine d’arroser » le matin je me levais et puis je voyais le soleil comme ça, je me disais : « mais ça va pas marcher, si on n’arrose pas…  ». Et là cette année je me rends compte que vraiment il n’y a pas besoin d’arroser. La plante se débrouille toute seule.

Ruth Stegassy : Et du coup, ça fait une chair plus dense ?

Jacky Dupety : Ça fait une chair plus dense et ça développe des goûts et des arômes qui, quand le fruit est gorgé d’eau, on ne peut plus trouver. Donc cet hôtel le restaurant qui est je dirais haut de gamme, je lui en est présentées pour essayer ; le lendemain de l’essai, le cuisinier m’a appelé en disant : « toutes les semaines ! »  Même les concombres, j’ai des concombres là… J’ai un copain qui es en bio, lui,  qui est pas très loin d’ici, qui arrose comme un fou, parce qu’il y a le souci de la production, c’est vrai qu’aussi ça compte économiquement ; se dire « je n’arrose pas mais je vais  avoir des  petits fruits », on se dit «mais ce n’est pas bon,  comment je vais vivre ? ». Et là je me rends compte que, pas besoin d’arroser et puis ça pousse pareil. Et même en terme de productivité, je suis persuadé – tous les québécois le disent –  on est à 160/170%,  mais je me rends compte que oui parce que sur une douzaine de pieds de courgettes qu’on produit, 160 kilos, ça fait une moyenne assez conséquente.

Ruth Stegassy : J’en vois une là-bas…

Jacky Dupety : Alors là c’est des  « vertes de Naples ». Là bas aussi, c’est une « verte de Naples ».

Ruth Stegassy : Les feuilles quand même elles sont…

Jacky Dupety : Ah oui, c’est la fin.

Ruth Stegassy : C’est parce que c’est la fin, c’est ça ?

Jacky Dupety : Oui. Je discutais, avec un jardinier, hier je crois, et  il me disait : « oui mais on peut mettre un peu de traitement pour empêcher l’oïdium » ; je lui ai dit : « mais attends, la plante tu la fais travailler toute l’année, toute la saison et tu voudrais qu’à la fin de la saison, après la production, elle soit encore en pleine forme, c’est pas possible quoi ; c’est comme nous quand on vieillit, on sait qu’on est sensible à se « chopper » des maladies. Donc là, c’est pareil ; les pauvres elles vont mourir d’oïdium.

Ruth Stegassy : Vous n’êtes pas inquiet pour les suivantes ?

Jacky Dupety : Pour l’année prochaine ?

Ruth Stegassy : Oui.

Jacky Dupety : Ah non, non, non. L’année prochaine je re-sèmerai ; pas à cet endroit là  bien sûr;  le sol, là, ça travaille. On regardera tout à l’heure, on fera un profil. Mais j’ai été étonné encore avant-hier, il y a des champignons partout. C’est un peu le changement de paradigme.

Ruth Stegassy : On n’est plus sur le minéral,

Jacky Dupety : Tout à fait. C’est un changement, mais dans la tête il faut vraiment se bouger pour comprendre que ce n’est plus bactérien, c’est champignon. Alors que la plupart du temps, même en bio, même  les biodynamistes, c’est le compost ; donc on chauffe, on fait de l’entropie alors que  là on est en néguentropie.  C’est-à-dire  c’est le sol qui se régénère et  qui crée lui-même son ordre. Alors que, quand on met du compost, déjà le compost on ne sait pas ce que c’est : combien y a d’animaux et de végétaux dans le compost ? La matière organique c’est un truc, y’a pas de définition.

Ruth Stegassy : Tandis que vous dans votre sol, vous savez ?

Jacky Dupety : Oui on sait, parce qu’on met des essences d’arbres. Là ici, c’est du peuplier ; le peuplier on peut analyser tous ses composés. Le sol on peut analyser de quoi il est constitué ; on peut sortir la recette. La recette elle est clairement exprimée, on sait ce qu’on met, on sait ce qu’on a sur le sol, point final. On analyse. Alors   que le compost on ne sait pas. Là j’ai un vieux tas de compost depuis deux ans ; ça vient de la bergerie. Il y a de la paille de blé, de la paille d’orge, il y a des excréments de brebis, mais dans quelle proportion ? Moi je le fais comme ça, mais mon voisin, il mettra plus de paille et ce sera un autre compost.

Ruth Stegassy : Elles sont jolies…

Jacky Dupety : Cet été  – j’en parle toujours avec étonnement, pourtant  ça fait deux ans, je devrais être habitué – mais j’étais stupéfait quand je voyais en plein midi – il y avait 39, 40 degrés à l’ombre, donc au soleil ça faisait 60, je pense – comme ça, elles étaient comme ça !

Ruth Stegassy : Bien vertes, bien dodues…

Jacky Dupety : Bien vertes avec des feuilles, face au soleil !

Ruth Stegassy : On les sent gorgées d’eau, enfin gorgées d’eau pas au sens, arrosées mais…

Jacky Dupety : Gorgées de sève.

Ruth Stegassy : De sève, voilà c’est ça. Mais Jacky Dupety, quelle différence entre le BRF que vous employez et le paillage, par exemple, ou la permaculture qui sont aussi des pratiques dont on commence à parler beaucoup.

Jacky Dupety : Le paillage, c’est de la cellulose, il n’y a pas de vie dedans. Il y a un concept, c’est la vie ; le bois qu’on coupe et qu’on broie, il est vivant parce qu’il y a de la sève dedans.

Ruth Stegassy : Donc, c’est pas du bois mort que vous mettez…

Jacky Dupety : Alors, surtout pas de bois mort. Le bois mort, ça fera l’effet du mulch, comme un paillage ça empêchera l’évaporation de l’eau, les adventices sont un peu contenues, mais ça n’amène pas cette vie. Et la vie du sol c’est,  ces bois, ces petites branches coupées en morceau, colonisés par les champignons qui eux-mêmes colonisés par des mangeurs de champignons etc… C’est une chaîne alimentaire, c’est  même plus que ça, parce que l’humus c’est quand même du minéral, de l’animal et du végétal. Là on arrive à une espèce de symbiose que le tout minéral exclut ; le minéral on exclut, on exclut le vivant. Je dois dire qu’en deux ans, ce que j’ai vu, c’est bouleversant. C’est bouleversant au niveau de l’approche technique, mais c’est bouleversant aussi philosophiquement ; ça appelle vraiment un changement d’époque.

Ruth Stegassy : Est-ce que vous avez tout de même quelques informations sur l’évolution de ce type de technique ? Qu’est-ce qui se passe au bout de 5 ans, au bout de 10 ans ? Ça ne vous inquiète pas, ça ?

Jacky Dupety : Au Québec, ils ont maintenant pratiquement 30 ans de recul,

Ruth Stegassy : 30 ans ?

Jacky Dupety : 30 ans, oui.

Ruth Stegassy : Et ça ne s’est pas développé plus que ça ?

Jacky Dupety : Et ça ne s’est pas développé plus que ça, parce que – il y a pas mal d’agriculteurs qui emploient cette technique à Québec, notamment en maraîchage avec des productions assez sidérantes, pour les fraises, sans arrosage, 160 à 170%.

Ruth Stegassy : De productivité ?

Jacky Dupety : De productivité, avec des fraises qui ont un goût qui n’a rien à voir avec des fraises produites avec arrosage, des tomates, enfin tout ce qui est maraîchage avec des produits qui sont à plus values ; des framboisiers, tous les fruits rouges aussi ça marche  très, très bien avec le BRF.

Et donc, eux, ils ont ce recul de 30 ans et à priori, il semblerait qu’il faille recommencer à faire un épandage de broyat tous les 5 ans. Daniel Henry qui est venu début août ici…

Ruth Stegassy : Qui est agronome…

Jacky Dupety : Qui est agronome, parle, lui, dans certains cas de 10 ans. Alors à mon avis ça doit être dans la façon de mener les cultures, peut-être, mais à mon avis il n’y a pas de limites ; on peut tous les   5 ans refaire un raccord de 3 cm d’épaisseur sur le sol.

Ruth Stegassy : Et qu’est-ce qui fait, selon vous, qu’on n’arrive pas à convaincre davantage de monde ?

Jacky Dupety : C’est ce que je disais, on est toujours sur le mode de la combustion, du feu, du bactérien, de la décomposition, du tas de fumier. C’est de l’entropie, on développe de l’entropie. Et là, on est dans le phénomène contraire ; c’est-à-dire qu’on laisse le sol faire sa néguentropie, installer son ordre et…

Ruth Stegassy : Et recréer la vie !

Jacky Dupety : Et recréer la vie ! C’est ce qu’on appelle la pédogenèse ; on emploie pédologie, mais pédogenèse on n’aime pas trop, parce que ça se fait sans nous la pédogenèse. Pédologie, on est technicien, on fait des mesures, etc… La pédogenèse, ça se fait sans nous. On peut la mesurer. Gilles Lemieux a réussi à convaincre notamment les pays africains. Certains pays africains se sont aperçus que c’était contre la stérilité de leur sol, que c’était quand même quelque chose qui marchait bien et qui permettait de revenir à des cultures vivrières. En Inde, Bourguignon, a fait quand même dans un village la découverte, apparemment d’une technique qui se rapprocherait du BRF ; et il a été absolument stupéfait de s’apercevoir que des branches cassées à la machette par les femmes dans les villages, mises sur le sol, étaient capables de produire une richesse de sol aussi importante.

Ruth Stegassy : Et rapide.

Jacky Dupety : Et rapide. Et donc Monsieur Bourguignon, apparemment il est en train de changer. J’ai reçu un mail, par Gilles Lemieux, où il me dit qu’il a, en Espagne, été contacté par  un viticulteur, dans une zone où il n’y a pas eu de pluies conséquentes depuis 4 ans. Donc les vignes elles étaient en train de crever. Donc Bourguignon est allé là-bas, et il avait potassé un peu l’histoire du BRF et il a dit : « À la taille du printemps, tout ce qui est taillé, on le broie et on le met aux pieds des ceps sur une bande de 100 mètres et on regardera après la récolte ;  on fera un profil de sol sur ce qui a été traité et ce qui n’a pas été traité ». Donc après la récolte ils ont fait un profil de sol ; l’humidité était à 50 cm sous le broyat et il fallait descendre à 1m50 pour la trouver là où il n’y avait pas de broyat. Donc le vignoble, à priori, est sauvé. Mais ça pose plein de questions ça aussi, parce que la tendance actuelle c’est je ne sais plus combien de milliers de pieds à l’hectare et Bourguignon se dit : «Mais dans le temps c’était 4 à 5 fois plus ; et les gens ne sortaient pas de la parcelle les déchets de taille, ils les mettaient au pied. ». Donc il semblerait quand même que dans la mentalité ancestrale il y ait  une certaine habitude de se dire : « les déchets c’est pas vraiment des déchets, si on les laisse au pied, ça aide la plante ».

Ruth Stegassy : Qu’est-ce que vous faites, là ?

Jacky Dupety : Là on va soulever du sol pour voir…

Ruth Stegassy : Ce qui se passe ?

Jacky Dupety : Ce qui se passe et comment ça travaille. Alors ce n’est pas toujours probant au premier coup.

Ruth Stegassy : Mais vous  faites ça  régulièrement ?

Jacky Dupety : Je fais ça régulièrement, Oui ça me rassure parce qu’il y a besoin d’être rassuré dans cette histoire. Là on le voit : ce qu’on appelle les champignons imparfaits parce qu’ils n’ont pas la forme des champignons qu’on ramasse pour manger.

Ruth Stegassy : C’est le blanc, là ?

Jacky Dupety : C’est le blanc. Donc là, c’est un champignon qui est en train de se développer sur un morceau de branche qui fait 2 cm de long sur 1cm de large et 1cm d’épaisseur. Et le champignon est en train de digérer la lignine qui est dedans. Donc la lignine c’est la sève. Et l’intérêt de choisir des branches de petit diamètre, c’est que cette  lignine n’est pas encore synthétisée. C’est-à-dire qu’elle est composée de molécules qui ne sont pas assemblées encore. Et le champignon, c’est le seul être vivant, le seul, être vivant sur terre qui peut manger la lignine. La lignine c’est un toxique, c’est un phytotoxique. Et là, le champignon, lui c’est ce qu’il aime. Et à partir du moment où le champignon commence à manger les éléments non pollinisés, lui, il attire tous les prédateurs parce que le champignon,  il se fait manger par d’autres êtres vivants ; c’est la fameuse pédogenèse qui se fait toute seule. C’est le seul qui se régénère et instaure son ordre. Alors là-dedans il y a du minéral, du végétal et de l’animal.

Ruth Stegassy : C’est-à-dire, si on reprend, vous, vous avez broyé des branches relativement fines…

Jacky Dupety : Oui !

Ruth Stegassy : Vous les avez répandues sur le sol, les champignons s’y installent et à partir de là tout revient. Ce qu’il y a de très frappant, en fait, quand vous soulevez la terre comme ça, c’est l’odeur, le parfum, on a l’impression d’être dans un sous-bois  tout à coup, alors qu’on est sur un plateau.

Jacky Dupety : Oui et ça c’est le côté magique de cette histoire là, parce qu’en fait on reproduit – mais je crois qu’il faut vraiment être humble – on reproduit ce qui se passe dans une forêt.  Tout ce qui tombe des branches, qui va au sol, va être pratiquement tout de suite colonisé par des champignons ; ce n’est pas des bactéries qui viennent de la chauffe comme quand comme on fait un compost, là ce sont les champignons qui  aiment ça parce que ce sont les seuls qui se satisfont de la lignine. A partir du moment où les champignons sont là, il n’y pas de problèmes de fertilité dans une forêt,  la fertilité elle est là. Et donc ce qu’on fait avec le BRF, on accélère un peu l’histoire ; c’est-à-dire qu’au lieu de mettre 100 ans pour faire 10cm  de sol, en quelques mois on a 20 à 30cm de sol.

Ruth Stegassy : Mais comment est-ce que vous expliquez, Jacky Dupety, que des cultures maraîchères puissent venir sur des sols qui font à ce point penser à des sols de forêts, justement ?

Jacky Dupety : C’est un peu le pari que j’ai fait. J’ai fait le constat en fait que les terres sont drainantes, ici. Pourquoi je voulais faire du maraîchage, j’en sais trop rien, mais parce qu’il y avait un besoin d’autosubsistance et aussi le pari de se dire : « la terre est drainante parce qu’il n’y a pas d’humus. Donc si on met de l’humus, en principe ça marche et on peut cultiver comme sur une terre fertile » et apparemment, c’est ce qui se passe. L’humus se crée et à partir du moment où il y a  l’humus  la vie est possible, enfin la fertilité est là.

Ruth Stegassy : Oui mais la vie est possible, certes, mais le regain de végétation naturelle, spontanée est possible aussi ; c’est ça que je n’arrive pas à comprendre…

Jacky Dupety : C’est-à-dire les adventices, par exemple ?

Ruth Stegassy : Les adventices ou même les jeunes arbres…

Jacky Dupety : Oui, les jeunes arbres… En fait dans mon rêve à plus long terme, c’est de faire de cette combe un jardin. J’ai planté des pêchers, des pruniers, parce que je pense que ça va pousser tout seul Mais ici ce n’est pas un sol où l’on fait pousser des arbres, parce qu’en fait  la priorité c’est de s’alimenter. Et les gens sur une terre comme ça, c’est de la céréale qu’on faisait.

Ruth Stegassy : Là vous parlez de vous, et de ce que vous voulez ; mais vous nous avez expliquez tout à l’heure qu’ici les plantes étaient libres d’agir comme elles le souhaitaient. Et donc les arbres ne viennent pas ?

Jacky Dupety : Les arbres ne viennent pas, mais ils pourraient très bien venir. Là c’est des peupliers, c’est du broyat de peupliers. Et j’ai récupéré une bouture, ça avait poussé tout seul il y avait un morceau de   branche de 10cm  qui avait fait des racines d’un côté, des bourgeons de l’autre. C’est ce dont on parlait  tout à l’heure, quand l’agriculture s’en va, la forêt revient. Et à mon avis, si déjà on a un sol de forêt, automatiquement les arbres  ils viennent. Mais contrairement à la colonisation qui se fait ici  quand l’agriculture s’en va, c’est-à-dire qu’en général on surtout le genévrier qui vient à mon avis, ici le genévrier, il ne se plaira pas, parce que la terre est trop riche, elle a trop d’humus, elle n’est pas assez calcaire. Parce qu’on arrive quand même aussi à une chose aussi importante, on arrive à un PH neutre ; sans aucun amendement, sans rien faire. Et là c’est aussi quelque chose qui est difficilement explicable, même si le PH ce n’est qu’un indicateur. Le genévrier, lui, là-dessus, il ne se plaira pas.

Ruth Stegassy : Et vous, vous n’êtes pas obligé de désherber les peupliers…

Jacky Dupety : Je ne suis pas obligé de désherber les peupliers, non, non. Mais parce que  je travaille un peu la terre. Travailler, c’est-à-dire – j’ai un peu de liseron, j’ai un peu de potentilles – et parce qu’en fait en dessous il y a quand même des siècles de travail de la terre avec le labour, donc il y a une semelle qui est à mon avis à 20 ou 30 cm et dans cette semelle il y a toutes les racines de liserons. Donc là, c’est la bataille.

Ruth Stegassy : D’où la grelinette

Jacky Dupety : D’où la grelinette ! L’intérêt aussi c’est que, comme le sol – d’ailleurs on s’aperçoit en marchant dessus – le sol est meuble, ça fait comme un tapis. Le sol est structuré et pour tirer les racines ça va tout seul ; un coup de grelinette, on soulève et on tire les racines jusqu’à 20 ou 30cm. La grelinette, quand on ne rencontre pas les cailloux, elle s’enfonce. Alors  il y a des phénomènes inexplicables, c’est  que, pourquoi là on ne les voit pas ? Ça sent quand même bien. Là, on voit la terre comment elle est structurée.

Ruth Stegassy : C’est incroyable, parce que vous avez donné juste un coup de grelinette et  on a le dessus qui est encore complètement en copeaux de bois et puis en dessous on voit un peu de décomposition mais très, très vite on arrive à de la terre qui est riche, humide, qui est belle.

Jacky Dupety : Ça suinte d’eau. Et ça, on est en septembre, on peut se dire, oui,  il a plu etc..

Ruth Stegassy : Et non, il n’a pas plu.

Jacky Dupety : Il n’a pas plu beaucoup, et au mois de en juillet c’était la même chose. Et c’est ça qui était sidérant, quand je montrais comment la terre était humide, au mois de juillet en plein soleil, il y avait 2 à 3cm de sec et en dessous, c’était – je ne peux pas dire gorgé d’eau – parce qu’en fait c’est pas gorgé d’eau. Et là c’est pareil, c’est encore quelque chose qui bouleverse l’agronomie, c’est que plus le sol est vivant, plus il y a d’êtres vivants dedans, plus il y a d’eau.  Mais ce n’est pas de l’eau interstitielle c’est de l’eau dans les êtres vivants. Lemieux m’a envoyé un document : le prix Nobel de biochimie ou de chimie 2003, a découvert les aquaporines. Et les aquaporines, c’est quelque chose que tous les êtres vivants ont, végétaux et animaux. Chaque cellule dans sa membrane, sur sa membrane, a, ce qu’on appelle maintenant les aquaporines. Ce sont des protéines qui discutent avec les autres cellules et qui estiment les besoins en eau ou les surplus en eau. Et en fait ce sont des échanges qui après se font, de cellules à cellules. Quand j’ai lu ça, ça m’a bouleversé parce que Je me suis dis en fait mon sol, c’est pas de l’eau qu’il y a dedans, c’est de la vie.  Parce que tous les êtres vivants, on est tous composés à 70%  au moins, d’eau. En fait si les plantes trouvent à satisfaire leurs besoins dans le sol, c’est parce que tous les êtres vivants qui sont là et qui vivent en symbiose avec les racines aussi – parce que autour des racines, c’est pas uniquement des tuyaux qui aspirent l’eau – il y a tous les êtres vivants qui sont en symbiose racine/sol et tout ça, ça communique et tout ça, ça gère les besoins en eau.

Ruth Stegassy : C’est magnifique !

Jacky Dupety : C’est sidérant. C’est sidérant et ça bouleverse tout  parce que nous humains on est incapable de gérer l’eau sur la planète, la planète elle sait faire. C’est-à-dire que c’est une sacrée leçon, une sacrée leçon ! Ce document sur les aquaporines c’est intéressant parce que même maintenant la médecine s’en sert pour guérir certaines maladies, notamment maladie des reins ;  alors s’il y avait de la recherche…

Tiens voilà, là il y en a, voilà les champignons, les filaments. On les voit bien là. Alors c’est bizarre, ça fait comme ça,  il y a des endroits où il y en a plein, d’autres endroits il y en a moins.  Alors est-ce qu’ils sont en train de se développer ? Parce que à mon avis, ça aussi c’est assez génial, c’est comme un levain. Parce que ces champignons ce sont des spores. Ce sont des spores qui sont trimballées dans l’atmosphère et qui viennent là et qui comme un levain, vont faire lever la terre. C’est comme du pain,  la terre est comme du pain et le BRF c’est le levain. Il y a des images qui me viennent très souvent  comme ça, je me dis mais, avec nos trucs, nos délires… si on regardait,  on se rendrait compte que ça se fait tout seul ; ça se fait tout seul, c’est vraiment le contraire de ce qu’on fait. Si on laisse faire et qu’on a   confiance  on s’aperçoit de ça ; on se dit, mais  « à quoi ça sert d’aller « foutre » et de l’eau, et de l’engrais. Il y a tout si on réfléchit un peu. Si on regarde   comment le sol d’une forêt se comporte, eh bien ça fonctionne tout seul. Ça fonctionne tout seul. D’ailleurs, lorsqu’ils ont fait les  premières applications de BRF au Québec, il était recommandé d’aller en forêt ramasser un peu de litière et d’ensemencer le champ qu’on avait recouvert de BRF pour que ça démarre plus vite.

C’est Jean-Pierre Berlan, que j’avais rencontré à une conférence, qui m’avait parlé de l’INRA  et j’ai trouvé, sur le site de l’INRA à Montpellier, les recherches qu’ils sont en train de faire, notamment sur les aquoporines. Alors ces braves messieurs de l’INRA, eux, ils n’ont pas trouvé mieux que d’isoler la plante de son milieu et de faire des recherches sur les aquaporines, mais hors du sol.

Ruth Stegassy : En laboratoire.

Jacky Dupety : En laboratoire. Donc – il y a un budget énorme –  ils font des recherches sur les aquaporines pour améliorer les aquaporines des plantes ; pour gérer leurs besoins en eau. Moi, je suis tombé sur le cul. Je me suis dis « mais pour ça il n’y a pas de sous, pour cette histoire de BRF, il n’y a pas de sous, il n’y a pas d’intérêt scientifique mais par contre, pour aller manipuler des plantes, pour voir comment elles se comportent hors du sol, il y a plein de sous. C’est sidérant !

Ruth Stegassy : Oui, c’est le monde à l’envers. Alors là, on est à la lisière de votre parcelle, Jacky Dupety , d’un côté le bois raméal, de l’autre…

Jacky Dupety : La terre, les cailloux, oui. On  est sur le Causse, il y  en a des cailloux.

Ruth Stegassy : Vous n’allez jamais y arriver là, ce n’est pas possible !

Jacky Dupety : Si, on devrait… On a trouvé une brèche, mais on voit que pour enfoncer…

Ruth Stegassy : À peine quelques millimètres…

Jacky Dupety : On va soulever un bloc… On va arrêter là…

Ruth Stegassy : Ne vous épuisez pas quand même.

Jacky Dupety : La terre est belle quand même. La terre est belle sur le Causse.

Ruth Stegassy : Elle est quand même nettement plus sèche, beaucoup plus sèche, elle s’effrite, elle s’émiette directement. Il y a quand même des vers de terre.

Jacky Dupety : Il y a quelques vers de terre ; ça c’est la pluie qu’il y a eu. Le problème si l’on n’arrive pas à descendre plus, c’est qu’en dessous, c’est sec. C’est vraiment sec. Y’a des traces d’humidité mais bon. La terre est sèche, elle ne laisse pas de traces d’humidité sur les mains. Alors la démonstration quand on fait ça en été, là c’est même pas  les 10cm qu’on a soulevé ; on n’arrive même pas à rentrer l’outil, c’est l’enfer, quoi.

Ça en face, c’est une parcelle, 500m2, que j’ai faite en janvier 2005 et à côté, c’est 2004.

Ruth Stegassy : Ah, un an de plus. Et vous avez remis entre temps du bois raméal ?

Jacky Dupety : Non.

 Ruth Stegassy : Ah non, une seule fois ?

Jacky Dupety : Une seule fois, et c’est – je vérifierai – en principe, c’est 4 ou 5 ans sans apport.

Ruth Stegassy : Donc ça évolue. Dans 4 ou 5 ans, il faut recommencer ou aller ailleurs ?

Jacky Dupety : Il faut recommencer, c’est tout.

Ruth Stegassy : On peut se remettre au même endroit ?

Jacky Dupety : Tout à fait. J’ai fait des fèves au printemps et dans mon jardin classique j’en faisais tous les ans, mais bon c’était des petites fèves, 10-15cm, quelques grains dedans et là cette année j’ai fait des fèves jusqu’à 30cm de long, bourrées de grains et  avec – la surprise que j’ai eue – aucune attaque de pucerons. Alors que la fève même dans les jardins, il est recommandé de l’employer pour attirer les pucerons pour pas qu’ils aillent sur les autres plantes. Et là, pas un seul puceron. Alors il y a des études qui ont été faites notamment une étude qui a été faite en Ukraine où ils sont, au niveau science du sol, ils sont nettement mieux que nous et où ils ont analysé chaque champignon qui colonise le broyat selon les variétés d’arbres, selon  les espèces d’arbres. Ils se sont aperçus que chaque champignon émettait des antibiotiques qui se retrouvaient ensuite dans le  sol, que les plantes pouvaient les prendre quand elles avaient une attaque : maladie ou insecte. Alors c’est pareil, c’est une recherche qui a été faite sur, je crois, sur une cinquantaine de variétés de champignons ; mais ça ouvre des portes pour la recherche en agriculture ; c’est énorme, parce qu’on trouve tout à portée de la main.

Ruth Stegassy : Mais on a des gens qui travaillent sur les champignons en France. Vous êtes en contact avec eux ?

Jacky Dupety : Non, non.

Ruth Stegassy : C’est-à-dire qu’ils sont totalement coupés de l’agriculture ?

Jacky Dupety : Oui. Le champignon, à la limite, même… beaucoup de collègues agriculteurs m’ont dit : « mais tes champignons ils vont attaquer tes plantes et tes plantes vont être malades. Alors c’est vrai qu’il y a des champignons qui attaquent les plantes mais en général c’est dû à un déséquilibre du sol. Là on n’est pas en déséquilibre, on est en équilibre. Donc il n’y a pas de champignons agressifs puisqu’on n’a pas de déséquilibre. Et le champignon il est là, lui, parce que, c’est uniquement parce que la lignine est là.  Il est le collaborateur du sol pour digérer la lignine et le bois et ensuite faire que tous les êtres vivants qui sont autour de ce champignon se développent.  A mon avis ça va très loin, ça va même jusqu’à la faune qui change. Sur le Causse, les crapauds on en a dans les haies, dans les parties boisées. Cet été j’étais avec mon fils en train d’attacher les  tomates et il était 11 h du matin – je crois que c’était au mois d’août – il y avait un crapaud qui nous regardait, qui était dans le rang   de tomates. Alors que dehors, enfin au soleil il devait faire 50 ou 60 degrés.

Ruth Stegassy : Mais il était au frais, lui ?

Jacky Dupety : Il était au frais parce que comme le sol est très meuble – le crapaud a tendance à s’enfouir quand il fait trop chaud – il a trouvé sa place. Et sur le Causse, en plein soleil, les crapauds, ce n’est pas l’endroit rêvé pour les crapauds, ça manque un peu d’humidité en principe. Mais cette histoire d’automédication du sol et des plantes, c’est ça aussi que ça apprend je crois ; ça apprend que plantes et sol  c’est la même chose. Dans le sol il y a des végétaux – les champignons les Anglais apparemment ne les classent pas dans les végétaux ; le champignon serait une plante à part. Mais bon c’est quand même plus proche du végétal que de l’animal.

Ruth Stegassy : C’est les deux.

Jacky Dupety : C’est un peu entre les deux ; C’est à mon avis aussi – Gilles Lemieux parle de   « sous nos pieds  la genèse de la vie se fait tous les jours » – c’est quand même dans les êtres primaires comme les algues, je crois, les champignons sont dans les premiers habitants je pense, les premiers habitants de la terre. Et de se dire – et ça  je le ressens très souvent – de se dire que sous les pieds le sol est en train de générer la vie… L’agriculteur qui est sur son tracteur, à mon avis, il est loin de penser que  c’est  sous les roues de son tracteur que la vie est en train de se faire.

Ruth Stegassy : D’essayer de se faire…

Jacky Dupety : En train d’essayer, oui.

Les enfants ont pris connaissance de toutes les vertus du BRF transmises amicalement par Jacky. Ils se sont appropriés rapidement la méthode d’application simple à mettre en oeuvre. Ils souhaitent apporter leur contribution en partageant le savoir acquis aux autres jardiniers qui ne connaissent pas cette technique révolutionnaire gratuite et si facile. Mais les enfants restent des enfants, ils sont toujours joueurs, et tout ce qui est entrepris avec eux est matière à de bons éclats de rires.

Les capacités inouïes du BRF à redonner vie au sol
trouvent par conséquent une réponse adaptée
au besoin urgent de revitalisation des terres d’Afrique.

Les actions de partage d’expérience
des incroyables comestibles sont en cours
de développement avec des habitants
représentant plusieurs pays du Continent africain.

La présentation de ces expériences sur trouve
sur le site Incredible Edible France à la page Afrique,
le lien est ICI.